Deuil professionnel: quand il faut dire adieu à une partie de soi

On parle souvent du deuil d’une personne, plus rarement du deuil d’un métier.
Et pourtant, il y a des métiers qu’on ne quitte pas comme ça. Des métiers qu’on a choisis, portés, aimés parfois jusqu’à l’épuisement. Des métiers qui ont façonné notre identité.

Mon ressenti

A chaque fois que je m’exprime sur ma situation, (pourquoi j’ai quitté mon métier, pourquoi je n’y retournerais pas) l’émotion m’envahie de façon presque incontrôlable, entre tristesse profonde, déception, frustration, colère. Mais aussi soulagement, de ne plus le subir.

Plusieurs années après avoir pris cette décision, je pensais que ça passerait, mais systématiquement, je ressens comme un profond gâchis.

Je me suis tellement battue pendant mes études, tellement battue toutes ces années pour soigner aux mieux les patients dont j’avais la charge.

Et puis je me suis battue contre moi-même, encore et encore se surpasser, jusqu’à ne pas écouter mon corps, mes ressentis. Parce qu’abandonner les personnes qui ont besoin de soins me remplissait de culpabilité. « J’ai un diplôme, je ne suis pas mauvaise dans ma profession, j’ai les meilleures intentions du monde et je ne mettrai pas tout cela au service du public ? ».

Je n’ai pu envisager de quitter ma profession qu’en mettant un pas de côté, me rendant compte que ma vie était bien la mienne, et que personne d’autre ne la vivait à ma place.

Alors oui, le besoin de professionnels est criant au point de s’en tordre les entrailles, mais est ce que le prix à payer n’est il pas trop élevé pour moi, pour ma vie ?

Ma prise de conscience

Depuis 5 ans, j’en souffre, ne parvenant pas à me projeter réellement dans autre chose, comme un boulet invisible que je traine et m’empêche d’avancer. Je pensais que je manquais de courage, de motivation et qu’il me faudrait juste un bon ‘coup de pied au …’. Culpabilisant d’alterner jobs alimentaires et périodes d’inactivité (productive) et « profiter » du système. Les discours politiciens du ‘on va vous mettre au travail’, ‘traversez la rue…’ sont tellement culpabilisants et ne font pas avancer. Bien sur qu’on peut, et je le fais, il faut bien vivre matériellement. Mais où est l’enthousiasme, l’envie, le sens, la pérennité ?

Récemment, comme une évidence, je me suis rendue compte que cet immobilisme, cette sensation désagréable était due au fait que je n’avais pas fait le deuil. Est c’est la  première fois (il m’aura fallu du temps), où je prononce ces mots : deuil professionnel Je ne pensais pas qu’il le fallait réellement. J’avais simplement dit STOP et virtuellement claqué la porte, portée par un profond ras le bol de me sentir malmenée au quotidien. A partir de là, pourquoi ne pourrais-je pas avancer vers autre chose ?

Ce deuil, vous en connaissez les phases : déni, colère, marchandage, tristesse, acceptation. La reconstruction ne peut pas se faire sans atteindre la fin du processus.

Ce n’est pas qu’un métier qu’on quitte, c’est une version de soi

Être infirmière, c’était bien plus qu’un métier. C’était un rôle, une identité sociale, une façon de me sentir utile. Et même de façon générale, lorsqu’on se présente à quelqu’un, ne se définit on pas aussi par sa profession? Alors forcément, l’après est flou. Qui suis-je si je ne suis plus celle-là ? C’est là qu’intervient le travail de deuil.

Il ne s’agit pas d’oublier ou de renier. Mais d’accepter que cette partie de soi a fait son temps, et qu’on peut en créer une nouvelle. Une qui soit peut-être moins “évidente”, moins “admirée” de l’extérieur, mais plus douce à vivre de l’intérieur.

J’ai travaillé dans d’autres domaines depuis tout ce temps, et je pense avoir une bonne capacité d’adaptation à chaque changement de poste, de structure, de domaine. Mais quitter ma profession ce n’est pas pour moi simplement changer de travail. C’est redéfinir mon rôle, mon utilité, mon identité. C’est une perte de repère, de stabilité. Ce qui amène à ne plus vraiment savoir qui je suis. Alors toutes ces recherches que je partage ici, font partie de ce travail profond.

Quand on met fin à une relation ou qu’on traverse un deuil familial, tout le monde comprend qu’il faut du temps (évidement, je ne veux pas comparer la perte d’un être cher avec un changement professionnel, simplement le parallèle du processus). Cependant, quand on quitte un métier, surtout un métier “utile”, “valorisé” ou “engagé”, on se retrouve souvent seule face à ses émotions.

Et pourtant…
Il y a du chagrin, parce qu’on laisse derrière soi des années d’engagement, de savoir-faire, de liens humains.
Il y a de la colère, parce qu’on aurait voulu que ça se passe autrement.
Il y a de la culpabilité, de la honte parfois, comme si on avait abandonné.
Et il y a aussi la peur : de ne plus retrouver un rôle qui ait du sens, d’avoir perdu sa place dans la société.

Ce deuil-là n’est pas visible. Mais il est réel.

Je crois qu’il est important d’en parler.
Parce que ce n’est pas un caprice, ni une faiblesse, même si bien sûr, j’ai bien conscience d’avoir la chance de vivre en France, dans cette société merveilleuse (quoi qu’on en dise, même s’il y a des dysfonctionnements, des injustices…). Ici, nous avons une chance immense d’avoir le droit et la liberté d’avoir dépassé (en cette période en tous cas) les besoins humains primaires (cf.Pyramide de Maslow).
C’est parfois une nécessité de se retirer, de changer de voie, de préserver sa santé mentale, son équilibre, sa vie tout simplement.

Faire le deuil d’un métier, c’est aussi faire de la place à quelque chose de nouveau. Même si pour l’instant, ce nouveau n’a pas encore de nom, ni de forme claire.

“N’aie pas peur d’avancer lentement. Aie peur de rester immobile.”

Proverbe chinois

Ce que je retiens

Il m’a fallu beaucoup de temps pour comprendre que je ne trouverais pas tout de suite un nouveau métier aussi porteur de sens, aussi ancré. Et je m’efforce tous les jours, de me dire que ce n’est pas grave. Parce que ce que je construis aujourd’hui, même lentement, part d’un endroit plus juste.
Je ne cherche plus à reproduire le passé.
Je cherche à me respecter, à me réinventer, à mon rythme.

Et toi ?

As-tu déjà vécu un deuil professionnel ?
T’es-tu senti(e) seul(e) dans cette traversée ?

Qu’est ce qui t’as aidé ?
Qu’est-ce que tu as appris de toi dans ce moment-là ?

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